Une enquête menée sur un an en 2014 a révélé la complicité des
autorités dans le braconnage et le commerce de l'ivoire .
En Septembre 2014 les écologistes ont
averti que le braconnage pour l'ivoire est à présent mené à une échelle
industrielle par des groupes organisés. Entre 1 500 et 1 800 éléphants sont
tués par an, principalement dans le nord du Mozambique.
Dans la Réserve nationale de Niassa , la
plus grande réserve animalière du pays , la World Conservation Society (WCS) a
dénombré 22 éléphants braconnés lors des deux premières semaines de Septembre
2014.
« L' abattage des éléphants dans le
nord du Mozambique a atteint des proportions phénoménales. Il s'industrialise », a déclaré Carlos
Pareira, conseiller de la WCS.
Entre 2009 et 2013, la population
d'éléphants de Niassa est passée de 20 374 à moins de 13 000.
Selon Cornélio Miguel, le responsable de
la réserve, cinq éléphants sont, en moyenne, tués tous les jours.
Dans le Parc National des Quirimbas , la
population d'éléphants est passée d'environ 2 000 en 2008 à 517 en 2011, selon
le Worldwide Fund for Nature (WWF).
Baldeu Chande, le responsable des
Quirimbas, estime à présent que le parc dispose de 790 éléphants au maximum. En
moins d'une semaine, au moins trois carcasses d'éléphants victimes de
braconnage ont été trouvées dans le parc.
Le gouvernement mozambicain a mis en
place un groupe de travail national impliquant plusieurs ministères, afin de
protéger les ressources naturelles. Un peu plus tôt cette année, il a présenté
un projet de loi prévoyant des peines de prison de 8 à 12 ans et des amendes
entre 4 425 $ et 88 500 $, pour les braconniers des espèces protégées.
Un
réseau de complices
Mon enquête, qui a commencé en Novembre
2013, dévoile une complicité des autorités dans le braconnage, impliquant les
pouvoirs administratifs, judiciaires et fiscaux des provinces du nord de Cabo
Delgado et de Niassa.
Les équipes de braconnage sont
constitués de chasseurs Mozambicains, Tanzaniens et Somaliens utilisant des
armes de haut calibre. Ils acheminent leurs produits illégaux, principalement
destinés à la Chine et au Vietnam, à travers les ports, les aéroports et les
frontières mozambicaines.
Jusqu'au mois de Mars 2014, malgré la
législation sur la conservation de la forêt et de la faune, ils ne recevaient
que de petites amendes lorsqu'ils étaient attrapés. En Avril, un projet de loi
a été approuvé établissant des peines de prison de deux à huit ans pour les
braconniers.
Mais les documents montrent qu'en dépit
des lois, les autorités facilitent ces crimes. Certains vendent des armes et
munitions, des uniformes militaires et des bottes, pendant que d'autres
accélèrent la libération des détenus en faisant disparaître les preuves.
Le
système judiciaire
L'enquête a révélé 15 affaires de
braconnage dans le Parc national des Quirimbas, ayant été transmises, sans
résultat, à la police d'investigation criminelle, au procureur et au tribunal
provincial. Certains braconniers s'étant même ostensiblement promenés avec des
AK-47 ont été libérés.
Quatre braconniers présumés ont été
arrêtés dans les Quirimbas, en 2010, après avoir tué trois éléphants.
Des accusations ont été portées à
l'encontre des membres d'un groupe de criminels, Manuel Kachupa, Jorge Salimo,
Luis Assima et António Amisse. Ils ont vite été libérés.
Au cours d'une opération contre ce même
groupe de braconnage en 2011, 106 munitions d'AK-47 et plus de 140 000 meticais
(3200 €) en espèces ont été saisis. Cette fois Luís Assima, à la tête du
groupe, eut vent des arrestations et partit la veille avec un autre accusé,
Manuel Kachupa, chasser avec trois armes automatiques.
Kachupa est un chef de file semblant
intouchable. En Août 2011, il a été capturé avec plus de 90 000 meticais
(2100€) en espèces et une semaine plus tard il a été libéré après avoir payé un
«acompte» de 20 000 meticais (470€) .
Dans une autre affaire, après avoir pris
la tête d'un groupe de six braconniers chassant des éléphants, il a réussi à
s'échapper avec un fusil, des munitions et trois queues d'éléphants. Il a été
rattrapé et détenu dans une prison à sécurité maximale, mais il a été libéré
quatre jours plus tard.
Ce ne sont là que quelques affaires
parmi tant d'autres, concernant la possession de produits d'éléphants, de
grandes quantités d'argent, d'armes à feu et munitions illégales, qui ne sont
pas suivies d'une action juridique.
Pour sa défense un policier a affirmé
qu'il n'a pas assez d'argent pour nourrir les braconniers en prison. Un autre a
prétendu qu'un «acompte» de 15 000 meticais garantissait une sortie de prison.
Contacté pour commenter ceci, l'actuel
procureur de la province de Cabo Delgado, Bernardo Mecumbua, a dirigé le
journaliste vers son porte-parole, le procureur adjoint Armando Wilson.
Wilson nous a indiqué que dans les deux
derniers mois, quatre affaires de braconnage avaient été portées devant les
tribunaux et que d'autres suivaient leur cours. Mais il n'a pas été en mesure
de donner des détails sur les affaires, ni sur celles arrêtées, ni sur celles
dont les braconniers ont été libérés.
Des
« éléphants à problèmes »
Dans la province de Cabo Delgado, le
chef du district Ancuabe Eusébia Celestino, et le secrétaire en chef du village
de Muaja, Horace Radio, fournissent des armes utilisées pour l'abattage de
soi-disant « éléphants à problèmes ». Ils affirment qu'ils détruisent
les fermes autour du Parc national des Quirimbas.
Pendant quatre jours, j'ai accompagné
des braconniers dans le district de Ancuabe et fouillé les forêts à la
recherche d'éléphants. Mais ils étaient méfiants et nous ont évités.
Nous avons vu des bûches de Pau Preto (
Dalbergia ), une espèce de bois dur, disséminées à travers les forêts, en
attente d'être collectés. Cette semaine, les braconniers et les bûcherons
illégaux étaient au courant de notre présence ; certains nous ont même dit :
" C'est mauvais, il n'y a pas d'affaires. "
Les
braconniers et les habitants
A Muaja, le chef de village Horace Radio
a nié son implication dans le braconnage, malgré le fait que les habitants
aient pu prouver le contraire.
Environ 10 éléphants ont été abattus à
Nonhala, Namaika et sur la rivière Montepuez. Ils ont été abattus de jour,
"contre le vent, une balle dans le front ou le c?ur, l'éléphant tombe sur
le champ". Les groupes de tueurs sont composés de trois à six personnes,
incluant les gardiens et les «scouts» (éclaireurs).
C'est une procédure rapide : les
braconniers attrapent, tuent, coupent la chaire de la tête de l'éléphant à la
hache, récupèrent les défenses et les livrent aux clients : les propriétaires
et/ou fournisseurs d'armes.
«J'avais un pistolet que le manager nous
avait donné, de la part du chef du village qui l'avait lui-même reçu des mains
du responsable du parc en personne," dit l'un du groupe. « Le secrétaire m'a appelé pour
que j'aille tuer des éléphants,» a t-il raconté. « J'ai abattu deux
éléphants, une grande femelle et sa progéniture. Nous avons reçu la troisième
arme, un Mauser russe, des mains d'un agent du fisc, Terenciano Faire, dans le
parc national des Quirimbas. Il a travaillé dans un village, New Zambezia, où
nous massacrions aussi des éléphants des Quirimbas. Il est maintenant à
Incole-Chaimite dans le district d'Ancuabe ».
Un second braconnier a confirmé les
dires de son coéquipier : « L'administration nous a fourni deux pistolets,
dont un de marque russe. On nous a emmené à New Zambezia parce qu'un éléphant
avait agressé une femme qui a fini par en mourir. Nous avons abattu cet
éléphant. Nous n'avons rien eu, pas d'ivoire, pas d'argent, pas de viande. Ils
nous ont demandé de tuer des éléphants en nous promettant de gagner quelque
chose, mais jusqu'à présent nous n'avons rien eu ».
A Muaja, une autre arme a été livrée à
un braconnier par "un ancien major militaire" nommé
"Emilio". "C'était un Mauser russe pour moi et mon ami, dans le
but de braconner" nous a t-on dit. "Nous avons attrapé un éléphant,
nous l'avons abattu et nous avons pris son
ivoire. Nous avons également massacré des éléphants dans la zone de la
lagune".
Le troisième braconnier, un ex-soldat
appartenant à un autre groupe de braconniers en 2012, a également reçu un
«Mauser russe venant d'un responsable officiel. J'ai abattu un éléphant dans la
zone de Matuine. Le chef du district a pris le pistolet, l'ivoire, la viande,
et il est parti ".
Au Quirimbas l'administration ne dispose
d'aucune autonomie officielle dans l'abattage des éléphants, que ce soit à
l'intérieur ou à l'extérieur du parc. Les animaux « posant problème »
doivent être suivis par le ministère provincial de l'agriculture, qui devrait
simplement faire déplacer l'animal, et non pas l'abattre.
De tous les éléphants abattus sur ordre
officiel au cours des quatre dernières années, ni l'administration du parc, ni
la direction provinciale de l'agriculture de Cabo Delgado n'ont reçu de
l'ivoire. Ces informations ont été confirmées par les deux institutions.
Le
commandant de police de Pemba
Le département du ministère de
l'agriculture et de la faune sauvage de Pemba a confirmé que les districts
suivants avaient participé au trafic de défenses d'ivoire : Mueda - 18,
Mocimboa da Praia - 16, Muidumbe - 1. Aucunes défenses ne venaient du district
d'Ancuabe.
Selon des sources sûres, le commandant
de la police provinciale, Dora Manuel Manjate, a abusé de son pouvoir à Pemba
pour faciliter le passage de l'ivoire, de rubis et d'autres produits illicites
pour la clientèle chinoise.
La police et les fonctionnaires des
douanes se sont interrogés mais « nous sommes menacés par le commandant et
par la société forestière Mofid (Mozambique First International Development),
complice du commandant ».
Les marchandises illicites sont souvent
cachées parmi le bois transporté dans des conteneurs d'expédition. «Lorsque
nous avons fouillé et trouvé des marchandises illicites, Mofid, directement
relié à Dora Manjate, nous a dit que nos chiens les dérangent. Le chef de la
station est arrivé et nous a dit de partir ».
Selon des sources sures, la clientèle
chinoise a contribué à une nouvelle maison et un nouveau véhicule a Manjate,
« un 4×4, l'un de ces nouveaux modèles, un modèle non attribué à la
police. »
Une de nos sources dans le port a
affirmé que récemment, à la demande du commandant Manjate, un policier ayant
essayé de récupérer un conteneur dans la forêt a été enfermé dans une cellule
pendant huit jours. « Nous avons peur de rechercher un conteneur dans le
port lorsqu'il appartient à Mofid. ». Après autorisation du conseil
municipal de Pemba, nous avons fouillé la maison du commandant Manjate, située
à environ 200m de la plage avec une vue imprenable sur l'océan.
En entrant dans la maison en
construction, nous avons trouvé des travailleurs mozambicains appartenant à une
société chinoise, CN-Balcony Buildings. Selon eux, la construction coûtera 1,1
millions de meticais à la région.
Estacios
Valoi est un associé de Oxpeckers Centre for Investigative Environmental
Journalism.
Cette
enquête d'un an s’appuie sur des preuves documentaires et photographiques. Elle
a été financée par The Fund For Investigative Journalism (FIJ).
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