Cette semaine le Mozambique a incinéré 2,5 tonnes d'ivoire
et de cornes de rhinocéros confisquées, mais cela découragera t'il le commerce,
très actif bien qu'illicite, autour du braconnage de la faune sauvage ? Non,
sauf si la corruption sur le terrain est traitée, écrit Estacios Valoi.
Le ministre mozambicain de la Terre, de l'Environnement
et du Développement Rural, Celso Correia, s’apprête à enflammer 618 défenses
d'éléphants et 86 cornes de rhinocéros.
Des millions de dollars d'ivoire
font l'objet d'un trafic en Mozambique du Nord, où les statistiques sur le
braconnage d'éléphants dépasse même celles annoncées par les organisations
environnementales.
Avec l'aide de la complicité des autorités, les braconniers mozambicains,
tanzaniens et somaliens abattent les éléphants avec des armes de haut calibre
et passent l'ivoire en contrebande à travers les ports, aéroports et frontières
du Mozambique. Il est principalement destiné à la Chine et au Vietnam.
En 2014, la Wildlife Conservation Society (WCS) a averti qu'entre
1500 et 1800 éléphants étaient abattus chaque année au Mozambique, affirmant
que « le braconnage des éléphants a été industrialisé » le long des frontières
nord du pays.
Selon Cornelio Miguel, gestionnaire de la réserve nationale de Niassa, cinq
éléphants sont abattus en moyenne chaque jour. La population d'éléphants à
Niassa a été considérablement réduite, de 20.374 à moins de 13.000 entre 2009
et 2013.
Dans le parc national des Quirimbas dans la province de Cabo Delgado, le
gestionnaire Baldeu Chande estime que la population d'éléphants y est tombée de
2000, en l'année 2008, à environ 400 en Janvier 2015.
Récemment, 114 carcasses d'éléphants ont été découvertes à l'intérieur du
parc Taratibu .
Autorités corrompues
J'ai été témoin de cette réalité sur le terrain, dans la réserve de Niassa,
en Octobre 2014. Près de 400 km de conduite chaque jour, pendant des heures
sans apercevoir du macadam, avec parfois la peur de servir de déjeuner à des
animaux sauvages, ou de constituer la cible des braconniers ou des autorités
corrompues.
J'ai également couvert le Parc National des Quirimbas dans la province de
Cabo Delgado, où le scénario n'était pas très différent.
Après discussion avec les rangers
rencontrés dans les deux parcs, la situation est claire. Ils se sentent
déstabilisés par un système juridique qui permet la libération des braconniers
et ne punit pas les syndicats criminels. Ces derniers étant soutenus par des
responsables mozambicains impliqués dans le commerce illicite.
Un ranger de Niassa affiche la défense d'un éléphant mâle
victime de braconnage. Photo: Estacios Valoi
Au poste de police de Mecula à Niassa, j'ai parlé à des braconniers
suspects, António Bernardo et Paulo Nhenge.
Bernardo, également lié à la contrebande de corne de rhinocéros en
provenance du parc national Kruger en Afrique du Sud, avait été arrêté par des
rangers de Niassa en possession de fusils AK-47.
Nhenge avait été arrêté en possession d'armes à feu, mais affirme n'avoir
tué des éléphants que sur les ordres d'un commandant militaire local.
Les deux suspects semblaient
sereins, comme s'ils attendaient l'heure de leur libération. Cela n'a pas pris
longtemps car, une semaine plus tard, ils "se sont échappés" pendant
leur transfert des cellules de détention de la police à la prison.
Bernardo a été capturé à nouveau le 23 Janvier 2015. Il a laissé courir le
bruit à Niassa qu'il avait payé un pot de vin de 16,129 dollars au procureur de
Mecula et au chef des opérations policières pour le libérer, ainsi que Nhenge. Ce dernier est toujours libre.
Un pot-de-vin de 16,129 $
Avant leur fuite j'ai interrogé Alberto Manuel Imede, le commandant de la
police de Mecula, à propos de l'implication présumée de la police civile
locale, la patrouille frontalière, et les systèmes juridiques et judiciaires
dans le soutien des syndicats de braconnage et du commerce illicite.
Il a évité de répondre directement et, pour montrer l'engagement de son
département, m'a dirigé vers une cellule de police où des braconniers suspects
ont été enfermés.
"Ils ne sont pas libérés, nous n'avons pas de corruption ici",
a-il dit, montrant plusieurs braconniers détenus au poste de police de Mecula
qui devaient être transférés à la cour dans la ville voisine Marupa.
Concernant l'évasion de Bernardo et Nhenge, Imede a jeté le blâme sur
l'autorité de poursuite locale.
Mais Danilo Tiago, le procureur de Mecula a réfuté ceci: "Cela semble
avoir été planifié", a-il dit. «J'ai parlé avec Bernardo après sa
recapture et il m'a dit qu'il ne s'était pas échappé. Nous enquêtons toujours
au sujet de l'argent."
Tiago dira pas que le chef de la police de l'opération avait reçu un pot de
vin, et a dit qu'il était surpris d'entendre que Benardo avait mentionné son
nom en relation avec le pot de vin de 16.129 dollars.
Complicité avec les autorités
La province de Cabo Delgado qui abrite le parc national des Quirimbas a
connu une situation similaire concernant de hauts fonctionnaires impliqués dans
le système juridique, facilitant la libération de personnes impliquées dans les
syndicats de braconnage, avec le «silence du procureur général du Mozambique ».
Aucune enquête n'a été menée sur le rôle joué par des personnalités du
gouvernement Frelimo, telles que Horaio Radio, le secrétaire en chef du village
Muaja.
Le commandant de la Police Dora Manuel Manjate a reçu une
prime et a été transféré à Inhambane
Dora Manuel Manjate, l'ancienne commandante de police de la province de
Cabo Delgado, a pris une part active dans la facilitation de la contrebande de
l'ivoire, du bois illégal et de rubis, par la société chinoise Mofid.
Au lieu de l'ouverture d'une enquête et d'une procédure judiciaire sur son
cas, elle a été transférée, après avoir reçu un bonus de la part du
gouvernement. Elle est aujourd'hui la commandante de police de la province
d'Inhambane.
Un document de 15 pages a été rédigé par des fonctionnaires de la police de
Cabo Delgado, constituant une plainte contre Manjate, les allégations à son
encontre allant du tribalisme au népotisme, en passant par la défense de Jaime
Biza, le commandant de la police de la Force d'Intervention du Mozambique (FIR)
dans le district de Montepuez.
Manjate aurait réfuté les
accusations concernant son implication dans le commerce illégal de rubis.
Biza a également été trouvé au
volant d'une voiture impliquée dans un accident ayant causé la mort de deux
civils. Cette affaire a
été archivée par Manjete afin de le protéger, selon le document.
Le document a été envoyé en Septembre 2014 au gouverneur de Cabo Delgado de
l'époque Jorge Khalau, au commandant général de la police Abdul Razak, au
ministre de l'Intérieur du Mozambique et au directeur du service de
renseignement de sécurité de l'Etat.
Ces dirigeants sont restés silencieux, choisissant de ne pas répondre aux
questions des médias, et aucune enquête n'a eu lieu sur les allégations
formulées, ni par le procureur général du Mozambique, ni au niveau de la
police.
Le Mozambique a signé plusieurs conventions régionales et internationales,
accords et protocoles interdisant le bois illégal et le trafic de la
faune.
En outre, le code pénal du pays prévoit un emprisonnement de huit à douze
ans pour la possession illégale d'armes à feu ou de munitions.
Ces lois existent sur le papier mais les autorités relâchent toujours, sur
des pots de vin, les personnes impliqués dans des activités de braconnage.
Certains des cas sont exposés dans des rapports de la police d'investigation
criminelle mozambicaine, ainsi que dans des rapports de procureurs et de
tribunaux provinciaux.
Tout cela se passe sous les yeux des tribunaux et des procureurs qui, au
lieu de garder les coupables en prison, leur permet de retourner à leurs
activités de braconnage - souvent même mieux organisé qu'auparavant.
Escadrons de la mort pour les éléphants
Dans le village Muaja du district Ancuabe, par exemple, certains des
braconniers impliqués dans une opération massive de braconnage ont été détenus
puis libérés par le système légal et judiciaire à plus de trois reprises.
En conséquence, les braconniers ont pu participer à un escadron de la mort
pour les éléphants à l'intérieur du parc national des Quirimbas , à environ
trois kilomètres de là où nous étions en reportage. Cinq éléphants ont été abattus par les braconniers en moins
de 24 heures.
En moins d'une minute l'éléphant a
disparu
Les villageois nous ont alertés de
la boucherie et nous ont appris que les braconniers étaient d'anciens
"combattants de la liberté " d'un village appelé Mbongo où,
apparemment, se trouvent beaucoup d'armes à feu illégales.
Il était environ 19h00 quand nous avons quitté l'endroit où nous étions
basés, pour suivre à moto, les membres de la communauté se précipitant à pied
et à vélo, armés de machettes, de couteaux, de tout ce qui peut servir à
découper un morceau de viande.
Dans la brousse où gisaient les éléphants
braconnés, les gens discutaient, criant, riant, alors qu'ils divisaient la
viande fraîche. En moins d'une minute, l'éléphant avait disparu. Sur le terrain
il restait seulement le squelette.
Avant, les braconniers allaient
braconner en groupe de quatre à six, mais aujourd'hui, ils sont composés de
douze à quinze personnes .
Au début du mois de Décembre 2014,
12 braconniers « de la guérilla », armés d'AK-47s et portant l'uniforme
militaire, ont tenu un « raid de l'éléphant » sur deux semaines, au long du
fleuve Montepuez, terrorisant même des membres de la communauté du village
Muaja.
Un des braconniers se nomme Mussa Namparavara. Il avait récemment été
arrêté et détenu dans les cellules de la police avant d'être libéré.
La police et le service de renseignement et de la sécurité d'Ancuabe a
poursuivi les braconniers, mais ils ont réussi à s'échapper parmi les
plantations de tabac.
Envolées en fumée
Les autorités mozambicaines ont incinéré 618 défenses d'éléphant et 86
cornes de rhinocéros à Maputo, lundi 6 juillet dernier. Le grand feu inclut 340
défenses d'éléphant et 65 cornes de rhinocéros saisies le 12 mai dans la ville
méridionale de Matola , où la police a perquisitionné une maison à la suite
d'une dénonciation et ont arrêté deux citoyens chinois en lien avec le butin.
Une corne de
rhinocéros part en fumée
Le ministre des Terres , de l'Environnement et du Développement rural,
Celso Correia, mit le feu à la pile et a déclara que le but de la brûlure était
de décourager le braconnage.
"Avec cette loi, nous avons l'intention de montrer au monde que notre
pays répudie le braconnage et l'abattage illégal d'animaux pour extraire les
cornes et l'ivoire", a déclaré Correia. "Nous en avons assez du crime
du braconnage. Là est la forte position du gouvernement."
Dans la partie nord du pays, où la population d'éléphants a été réduite
d'au moins 50 % depuis 2009, le gouvernement doit se concentrer sur
l’éradication de la corruption et la collusion officielle qui aide les
braconniers.
Estacios
Valoi est un journaliste d'investigation mozambicain.
Edition
et traduction par Myriam Duval